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Stratégie arctique de l'Allemagne : grand écart entre intérêts économiques et posture écologique

Les nouvelles du Svalbard, Février 2014

Résumé :

L'Allemagne a déjà défini sa stratégie pour l'Arctique, établissant des priorités pour ses chercheurs et ses industriels. Forte d'une longue expérience dans la région, l'Allemagne souhaite un rôle accru pour elle-même et pour l'Union européenne au sein du Conseil pour l'Arctique et de ses groupes de travail. Le pays coopère depuis longtemps avec la France en matière de recherche, mais diversifie ses partenariats en mettant en place des projets avec des pays membres du Conseil pour l'Arctique.

Illustration du potentiel projet de recherche FRAM, dont le but est l'installation d'équipements sous-marins pour une observation automatisée de l'Océan Arctique

La politique officielle du gouvernement allemand

Dans un document publié en octobre 2013, le Ministère des Affaires Etrangères allemand présente les "Directives pour une politique arctique allemande. Prendre des responsabilités, profiter des opportunités" ("Leitlinien deutscher Arktispolitik. Verantwortung übernehmen, Chancen nutzen"). Dans ce document, le gouvernement fédéral allemand :

- reconnaît l'importance géopolitique, géo-économique et géo-écologique de cette région ;
- reconnaît le potentiel pour l'économie allemande et européenne et le défi écologique, que représente l'exploitation des matières premières dans l'Arctique, qui doit se faire en appliquant les normes environnementales les plus strictes ;
- souligne l'importance d'appliquer le principe de précaution dans une région essentielle pour l'environnement mondial et préconise la création de zones protégées pour la conservation de la biodiversité ;
- considère que l'Allemagne peut contribuer à une expertise spécialisée en matière de recherche, de technologie et de standards environnementaux pour un développement durable, dans des partenariats de coopération dans l'économie maritime avec les pays riverains de l'Arctique ;
- intervient en faveur de la libre circulation des navires dans les eaux arctiques en conformité avec les plus hauts standards de sécurité et d'environnement ;
- s'engage dans une recherche ouverte en Arctique et des résultats partagés qui doivent sous-tendre l'action politique en Arctique ;
- préconise une utilisation pacifique de l'Arctique ;
- reconnaît les divers accords internationaux et régionaux servant de cadre juridique dans l'Arctique ;
- s'engage à protéger les droits des autochtones en Arctique dont celui à l'autodétermination pour leur habitat ;
- préconise une coopération multilatérale et reconnaît le Conseil de l'Arctique comme seul organe décisionnel régional "panarctique", tout en visant à renforcer le rôle d'observateur de l'Allemagne dans ce conseil;
- soutient une politique européenne active de l'Arctique, incluant une cohérence globale sur les enjeux de l'Arctique dans la politique étrangère et la sécurité, sur les politiques de recherche, de protection de l'environnement, de l'énergie et des matières premières, de l'industrie et de la technologie, des transports et de la pêche.

Des enjeux économiques forts à développer

Bon nombre d'entreprises allemandes sont déjà impliquées dans des coopérations liées à l'exploitation des ressources en Arctique (minéraux et hydrocarbures). Par exemple Siemens a récemment passé un accord avec le norvégien Statoil pour la modélisation et la réalisation de réseaux électriques (transformateurs, etc.) en eaux profondes. Aussi plus de 100 PMEs installées en Allemagne (Ex : Bornemann) sont intéressées par les ressources minérales marines. L'Allemagne vend son savoir-faire technologique pour l'exploitation de ces ressources (pompes, senseurs, ...). La moitié de ces 100 PMEs sont déjà présentes dans les eaux nordiques. En outre, un consortium composé d'entreprises et de centres de recherche a bénéficié d'un financement du ministère de l'économie et de l'énergie (BMWi) pour le développement d'un robot multifonctionnel sous-marin destiné aux eaux profondes.

Le gouvernement allemand promeut le savoir-faire de ses PMEs en matière de technologie environnementale appliquée à une économie durable au travers d'actions de réseautage. Les entreprises allemandes sont régulièrement conviées à des réunions d'information sur l'Arctique.

Exemples d'acteurs impliqués dans la recherche en Arctique

Une longue expérience de recherche polaire

Les chercheurs allemands sont présents dans la région du Spitsberg depuis 1988 (depuis 1963 pour les français avec la base Charles Rabot). En 2010, près de 80 millions d'euros avaient été consacrés à la recherche au Pôle Nord par le gouvernement fédéral et l'agence fédérale pour la recherche (DFG).

En plus de la politique globale du gouvernement, le Ministère de l'Education et de la Recherche (BMBF) a établi en coopération avec le Comité scientifique pour la recherche en Antarctique et le Comité scientifique international pour l'Arctique, une stratégie pour l'Arctique. Ce document datant de 2011 et intitulé "Changements rapides dans l'Arctique : la recherche polaire dans une responsabilité globale" (Schnelle Veranderungen in der Arktis : Polarforschung in globaler Verantwortung), précise les principaux points de la stratégie de recherche dans l'Arctique :
- Développement du climat passé, présent et futur dans l'Arctique ;
- Impact de la calotte glacière du Groenland sur l'élévation du niveau de la mer ;
- Réduction de la banquise arctique et impact sur l'atmosphère et l'écosystème arctique ;
- Pergélisol et hydrates de gaz et la machine climatique ;
- Adaptation des organismes polaires à l'environnement arctique en mutation ;
- Opportunités et risques associés à une exploitation économique croissante de l'Arctique.

Des organismes de recherche fortement impliqués

AWI

L'Institut Alfred Wegener (AWI), est le plus important Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine. Cet institut scientifique allemand situé à Bremerhaven, dans le nord de l'Allemagne fut fondé en 1980. L'institut a des stations de recherche en Arctique et en Antarctique.

Pour l'AWI, la recherche polaire devrait à l'avenir :
- Intégrer les sciences naturelles et humaines afin d'intégrer des paramètres socio-économiques. Des domaines en dehors du champ "classique" des sciences polaires devraient être envisagés ;
- Améliorer l'observation des deux régions polaires par l'utilisation de nouvelles technologies marines et terrestres en complément des mesures par satellite;
- Améliorer la coordination internationale des infrastructures polaires afin de pouvoir assurer l'accès à des zones reculées. La coordination générale de la recherche polaire devrait se faire par des projets "flagships", sur lesquels viendraient s'appuyer d'autres projets. En effet, selon la directrice de l'AWI, la recherche dans les régions polaires est trop onéreuse pour être menée par une nation seule ;
- Encourager la mise en commun des données à l'échelle européenne et internationale. Cependant plusieurs aspects légaux doivent être abordés avant une mise en accès libre total des données ;
- Coopérer pour un enseignement adapté. En effet, le paysage de la recherche en Arctique devra se doter de nouveaux profils d'ici 2030. Ainsi ingénieurs, spécialistes du droit scientifique, physiciens, économistes devront rejoindre les rangs des océanographes, biologistes, chimistes, météorologues, etc.

Une des dernières campagnes de son vaisseau de recherche "Polarstern" vise à étudier pourquoi la calotte glaciaire croît en Antarctique afin d'expliquer sa diminution en Arctique. L'épaisseur de cette dernière est seulement partiellement connue. L'AWI a mis en place un programme de recherche avec le Canada, pour une observation sur long terme de l'Arctique (Projet ARICE) notamment pour combler son besoin important de d'information concernant la biodiversité sous la banquise.

Par ailleurs, l'AWI participe au project Robex (Robotische Exploration unter Extrembedingungen - Exploration robotique en conditions extrêmes). Ce projet est destiné à l'exploration aérospatiale mais aussi aux fonds marins. Les technologies développées pourront servir à l'exploitation des ressources au fond de l'Océan Arctique.

Selon Karin Lochte, directrice de l'AWI, l'Allemagne aurait besoin d'un programme de recherche polaire adapté aux nouveaux enjeux de la région. Une stratégie antarctique devrait venir compléter celle alors développée pour l'Arctique. La directrice précise que ce programme devrait être soutenu financièrement par le gouvernement dans son ensemble et pas uniquement par le BMBF.

KDM

Le consortium pour la recherche marine (Konsortium Deutsche Meeresforschung - KDM) réunit de grandes institutions de recherche allemandes dans les domaines l'océanographie, côtière ou polaire. Le KDM comprend seize membres. Il est dirigé par la directrice de l'AWI.

BGR

L'Institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles (Bundesanstalt für Rohstoffe und Geowissenschaften ou BGR) est un organisme allemand sous tutelle du ministère fédéral de l'Economie et de l'Energie (BMWi). Il agit comme institution de référence et d'expertise en géosciences pour le gouvernement fédéral allemand. L'agence a son siège de à Hanovre et possède un bureau à Berlin.

En plus des thématiques couvertes dans le cadre du programme CASE (décrit ci-après), les objectifs du BGR dans l'Arctique sont :
- L'étude de la dorsale médio-océanique de l'océan Arctique ;
- L'étude du potentiel des ressources de la mer de Laptev ;
- L'Oural polaire et ses ressources minérales (chromite et éléments du groupe du platine) ;
- Les recherches sur le pergélisol.

GEOMAR

Situé à Kiel, GEOMAR, Centre Helmholtz pour la recherche océanique, est l'un des principaux instituts dans le domaine des sciences marines sur le plan international. L'institut étudie les processus chimiques, physiques, biologiques et géologiques des fonds marins, les océans et les marges océaniques et les interactions avec l'atmosphère. Ce large spectre de recherche confère à GEOMAR un caractère unique en Allemagne, en établissant le lien, au sein d'une même institution, entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée.

Ses principales thématiques de recherche au Pôle Nord sont :
- La banquise et l'ozone stratosphérique : liens et incidences de l'Arctique et de l'Antarctique ;
- Le changement climatique mondial et l'impact sur l'eau douce en Arctique ;
- La variabilité du climat en hautes latitudes ;
- L'Arctique au temps de l'Holocène ;
- La circulation océanique et le climat.

Des rencontres bilatérales franco-allemandes régulières

Si l'Allemagne est le premier partenaire de la France en matière de coopération de recherche, ceci s'applique aussi à la recherche en Arctique. En plus de nombreux projets de recherche (convention de coopération bilatérale entre l'Ifremer et l'AWI), les deux pays partage une base commune (AWIPEV) à Ny-Ålesund au Spitsberg, officiellement depuis 2003, mais pratiquement depuis 1991. La base dépend du côté français de l'Institut polaire français Paul Emile Victor (IPEV) et du côté allemand de l'AWI. Chaque année, la station accueille environ 130 à 150 scientifiques venus d'Allemagne et de France. L'année 2013 a permis de célébrer deux évènements significatifs dans la station AWIPEV : le 10ème anniversaire de la coopération entre les deux centres de recherche, et la certification de qualité scientifique de la station pour sa contribution au réseau de données climatiques GRUAN. Ce réseau a pour but d'uniformiser la collecte mondiale de données afin de garantir des prévisions climatiques de plus en plus fiables.

Exemple des sujets de recherche à la base franco-allemande AWIPEV

Chaque année, un séminaire franco-allemand dédié à la recherche en Arctique est organisé alternativement en France (Brest - 2013) et en Allemagne (Bremerhaven - 2012). Les sciences qui y sont présentées sont aussi bien sociales ou naturelles. En 2013, le Groënland et Svalbard étaient à l'honneur. Lors du séminaire de 2012, l'AWI s'est engagé à partager ses infrastructures de recherche (laboratoires, etc.) et ses moyens de transports (avions, bateaux d'exploration) dans le cadre de collaborations de recherche avec la France. La prochaine rencontre devrait se dérouler à Potsdam en novembre 2014.

Lors d'une conférence dédiée à l'Arctique à l'ambassade du Canada à Berlin en janvier 2014, plusieurs acteurs important de la recherche polaire allemande ont manifesté leur intérêt de travailler avec la France et de bénéficier de l'expérience avancée de l'Ifremer et de l'IPEV pour uniformiser les protocoles et les méthodes de mesure. En effet, la standardisation des méthodes de mesure est essentielle pour une comparaison scientifiquement significative des données recueillies par les différents instituts, dans différents pays.

À noter qu'il existe de multiples collaborations bilatérales établies en dehors des grands projets. Par exemple, le Dr. Andreas Laufer, du BGR collabore actuellement avec le Dr. Loic Labrousse de l'Institut des Sciences de la Terre à Paris et de l'Université Pierre et Marie Curie. En 2011 et 2013, le Dr. Labrousse a pris part aux expéditions du BGR dans les îles sibériennes ainsi que le territoire du Yukon, le tout dans le cadre du programme CASE (Circum-Arctic Structural Events).

Coopération franco-allemande dans un cadre multilatéral

Le programme ACCESS (Arctic Climate Change Economy and Society) (2011-2015)

Il s'agit d'un projet soutenu par la Commission européenne. Son principal objectif est d'évaluer les impacts des changements climatiques sur le transport maritime (y compris le tourisme), la pêche, les mammifères marins et l'extraction des ressources (pétrole et gaz)dans l'océan Arctique. ACCESS est également l'accent sur la gouvernance en Arctique et les options stratégiques politiques. Ce projet compte 27 participants dont 10 pays européens (dont la France).

Le programme CASE (Circum-Arctic Structural Events)

Débuté en 1992, le programme CASE s'est inspiré de travaux réalisés en Antarctique et vise l'étude de la géodynamique des marges de l'océan Arctique. Cet océan est une cible du BGR sur une échelle supra-régionale. Les objectifs de ce projet, qui impliquent de nombreux pays, incluent : - L'étude de l'ouverture initiale de l'océan Arctique et le magmatisme connexes au développement des bassins sédimentaires ;
- Les causes du développement des structures de contraction dans l'Arctique et l'extension géologique contemporaine (ceinture de plissement des Spitzbergs).

Le Centre Européen pour l'Arctique (CEARC)

Depuis sa création en 2009 par l'université de Versailles, le laboratoire "Cultures, Environnements, Arctique, Représentations, Climat" est engagé dans de nombreux partenariats, inclus avec des organismes allemands.

Coopérations de l'Allemagne avec des pays membres du Conseil de l'Arctique

L'Allemagne coopère également avec plusieurs pays nordiques et de manière étroite avec le Canada et la Russie. En plus de leurs travaux conjoints sur le terrain (ex : mise à disposition gracieuse des infrastructures de la toute nouvelle base sibérienne de Samoulov), la structure russe dédiée aux sciences polaires (AARI) possède un laboratoire germano-russe, le laboratoire "Otto Schmidt".

Pour en savoir plus, contacts :

- Prochains événements scientifiques :

* 2014 - Sommet de l'étude de l'Arctique
* 2015 - Semaine de la Science en Arctique

Source : BE Allemagne numéro 645 (6/02/2014)

Traduction / adaptation : Bastien